Affaire des Jet skieurs visés par l'armée algérienne

Enquête: En silence, Ismail Snabi souffre dans les geôles algériennes

Alors que la famille de Ismail Snabi panse ses plaies dans l’indifférence, le détenu maroco-français continue, depuis fin août 2023, d’être emprisonné en Algérie, dans des conditions, pour le moins, inhumaines.


Ismail Snabi croupit toujours dans les geôles algériennes. Et les conditions de sa détention à la prison de Maghnia, dans la wilaya algérienne de Tlemcen, sont décrites comme particulièrement dégradantes. Mardi 29 août 2023. Au plus fort de la période estivale, peu après 17 heures, deux vacanciers marocains sont abattus de sang-froid par des gardes-côtes algériens. La raison? Un soi-disant refus d’obtempérer, selon le ministère de la Défense algérien. Égarés au large de Saïdia, à la frontière avec l’Algérie, quatre estivants marocains en jet-ski ont essuyé des tirs nourris. Deux ont péri dans l’incident, Bilal Kissi et Abdelali Mechouar, dont le corps n’a toujours pas été restitué par les autorités algériennes. Un troisième, Ismail Snabi, natif de la ville d’Oujda, résident en France, est actuellement détenu en Algérie, tandis que le dernier, Mohammed Kissi, a réussi à regagner le Maroc, secouru par la Marine royale. Habitant de Clichy, en banlieue parisienne, Ismail Snabi, 27 ans, Maroco-Français, contrôleur technique de véhicules, a été condamné, le 30 août 2023, en comparution immédiate, à trois mois de prison ferme pour ”entrée illégale” sur le territoire algérien par le tribunal de Bab El-Assa. Il a été également poursuivi pour ”délit de contrebande d’un véihicule”, pour avoir traversé la frontière maritime sans les documents du jet ski, lesquels appartiennent à Mohamed Kissi. Sentence: 6 mois d’emprisonnement et 15 millions de dinars d’amende (1 million de dirhams). Une peine alourdie à un an ferme le 1er octobre 2023, en appel de sa condamnation.

Une année de prison ferme
Aujourd’hui, sa famille en fait les frais. Son épouse, Israa Snabi, a longuement échangé avec Maroc Hebdo. Après avoir subi des retards, des reports injustifiés et non motivés du consulat algérien pour l’obtention d’un visa pendant plusieurs mois, elle a enfin réussi à rendre visite à son époux, le 28 novembre 2023. Derrière une vitre précaire, la mère de ses enfants a pu prendre la mesure de la souffrance de son mari.

“Il aurait dû perdre au moins une vingtaine de kilos. Je ne l’ai jamais vu dans un tel état. J’ai ressenti un véritable choc”, raconte-elle après les 25 minutes de conversation que les autorités pénitentiaires algériennes l’ont autorisé à avoir avec son mari. Et les conditions de détention sont d’une grande précarité, raconte Israa Snabi, qui doit s’occuper seule ses trois enfants de 2, 3 et 5 ans. “Les cellules sont bondées, Ismail doit parfois dormir par terre. Ce qu’il m’a raconté est scandaleux”, dit-elle, en précisant qu’Ismail Snabi n’a pas tout voulu lui dévoiler, par crainte d’être sous écoute. Consultés par Maroc Hebdo, les jugements à l’encontre du Maroco-Français précisent que “le jet-ski a été repéré au niveau des eaux territoriale algériennes à environs 3,2 miles marins au nord-ouest de la tour de contrôle côtière de Marsa Ben M’hidi où ils ont été poursuivis, refusant d’obéir à la suite d’un ordre de s’arrêter, surpris par une vedette de la garde-frontière algérienne”, ce qui est qualifié de “délit d’entrée sur le territoire nationale d’une manière illégale”.

Si sa première peine de trois mois de prison est passée à une année de prison ferme, en appel, c’est “en raison de la gravité des faits” pour contrebande, avec constitution du représentant de la direction des douane algérienne, Mohammed Ramdani, partie civile. “Condamné pour le délit de contrebande de véhicule conformément à l’article 02 et l’article 10 alinéa 01 de la loi n° 05/06 relative à la lutte contre la contrebande avec confiscation du véhicule. L’accusé ayant été arrêté sur le territoire algérien dans une zone douanière à 1,8 miles marins de l’Oued Kiss à bord d’un jet ski de fabrication étrangère de marque Beggy (…) en provenance du Maroc sans pour autant que le jet ski ne passe par les bureaux de douanes afin de légitimer sa possession”, lit-on également dans le jugement.

Ismail Snabi serait-il, en vérité, victime d’une forme de diplomatie des otages orchestrée par l’Algérie? “En tout cas, j’ai l’impression que mon mari fait l’objet d’un acharnement et d’une justice expéditive. Ce n’est pas normal entre deux pays voisins”, regrette Israa Snabi. Un ancien haut fonctionnaire algérien joint par Maroc Hebdo, qui n’a pas souhaité donné son identité, nous indique que pour lui il s’agit indéniablement d’une fiction juridique orchestrée par l’Algérie et qui reflète l’hostilité que porte le pouvoir algérien à l’égard du Maroc. “Mon mari était en vacances pour passer des moments joyeux, c’est un homme formidable. Il s’est simplement perdu par erreur au large de Saïdia. Mon mari est innocent”, s’insurge Israa Snabi. Toutes les sollicitations de Israa Snabi auprès des autorités françaises sont restées lettre morte, alors qu’aucune visite consulaire n’a été autorisé de la part d’Alger.

Une fiction juridique
Une situation qui “choque” l’avocat de la famille, Me Cohen Sabban, qui estime que non seulement la peine est disproportionnée mais qu’elle revêt un “caractère éminemment injuste”. “Ismail Snabi s’est perdu par erreur au large de Saïdia. Il est inconcevable qu’il soit jugé une deuxième fois pour contrebande de véhicule. A mon avis, il s’agit là d’une politisation de l’affaire ainsi qu’une volonté de la part du procureur algérien pour alourdir la peine,” assure-t-il.

Une requête est en cours de la part de l’avocat de la famille dans le but de parvenir au transfèrement de Ismail Snabi afin qu’il puisse purger le reste de sa peine en France, en contrepartie du paiement d’une amende douanière. Me Cohen Sabban entend également saisir les autorités marocaines compétentes dans les prochains jours. La famille de Ismail Snabi compte organiser une marche dans les prochains jours devant la mairie de Clichy, en Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne, afin d’alerter l’opinion publique française et les médias sur la souffrance qu’il vit dans les prisons algériennes, au mépris des règles du droit international. Israa Snabi envoie également un message aux autorités marocaines pour s’activer davantage dans la défense de son époux. “C’est la France qui doit rendre justice à mon mari, qui est Français, certes. Mais si les Marocains peuvent contribuer à réduire la souffrance de Ismail, nous en avons grandement besoin en ce moment”, conclut-elle d’une voix épuisée.

Articles similaires