Climat Libé Tour

«J’ai cherché de nouveaux moyens de lutter, et la musique s’est imposée»

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Etienne Jarrier, cofondateur de l’orchestre du Nouveau Monde qu’il dirige, revient sur son parcours et la dimension – très politique — de sa formation musicale.
par Léo Maillard, étudiant journaliste au CFJ
publié le 31 mars 2024 à 18h34

Depuis ses débuts, le Climat Libé Tour, événement tourné vers la jeunesse, associe à chacune de ses étapes une école de journalistes locale (CFJ à Paris, ESJ à Lille ou Dunkerque, Ejcam à Marseille, Ijba à Bordeaux) afin que les étudiants couvrent, avec leurs regards, l’actualité des forums. Reportages, comptes rendus, portraits, photos et édition… Ces articles sont issus de leur travail.

À 22 ans, Etienne Jarrier dirige un orchestre de soixante-dix musiciens, prêts à dégainer trompettes, hautbois et violoncelles sur scène ou dans la rue pour la justice climatique. L’orchestre du Nouveau Monde, qu’il a cofondé en 2020, se veut politique, bouleversant les codes de la musique classique. Rencontré après son concert à l’Académie du Climat, dimanche 31 mars, dernier jour du Climat Libé Tour, le musicien revient sur son engagement dans cet orchestre «insolent».

Comment êtes-vous devenu chef d’orchestre à 18 ans ?

J’ai fait un cursus hyperclassique : un conservatoire en clarinette pendant dix ans. Je n’étais pas destiné à une quelconque carrière dans la musique. J’ai appris la direction sur le tas, entouré de personnes qui ont démystifié la musique classique. D’habitude, c’est beaucoup d’études, de concours… Il y a une validation par les pairs. Le classique, c’est aussi le beau, le correct. Mais je déteste ça ! C’est pour ça que je me situe un peu en parallèle. C’est en 2020, lors d’un concert en hommage à mon père décédé, avec des amis et connaissances musiciens, que j’ai été chef d’orchestre pour la première fois.

Et donc un chef d’orchestre engagé ?

Mon père a travaillé pour la Croix Rouge pendant vingt-cinq ans. Donc ça joue. Et ma famille a toujours été très très proche de l’actualité. Depuis tout petit, le JT de 20 heures, sur France 2, c’était la messe au dîner. Et c’est très cliché de dire ça, mais je viens de la génération climat. À quinze ans, on parlait déjà de lutte des classes, d’anticapitalisme… C’est au lycée que je me suis passionné pour la culture marxiste. Et puis à un moment, j’ai cherché de nouveaux moyens de lutter, et la musique s’est imposée, avec plein d’exemples que j’admirais et qui m’inspiraient, comme Nina Simone. J’avais envie d’être chef d’orchestre pour défendre mes valeurs et mes idées. Pas d’être chef d’orchestre pour être chef.

De ce concert en hommage à votre père est donc né l’orchestre du Nouveau Monde…

Le concert a soudé un groupe de musiciens. Pendant un an, on a répété sans aucune idée, sans but. Simplement parce qu’on s’entendait bien. Puis on a voulu trouver un projet qui nous ressemblait. Je ne voulais pas monter un énième orchestre étudiant, mais plutôt créer une institution. Je ne voulais pas non plus d’un orchestre qui soit le mien, plutôt d’un orchestre porté par une association, un collectif. Au début, nous étions 35 étudiants qui sortaient du confinement. Aujourd’hui, on est soixante-dix sur scène. En réalité, cent cinquante musiciens travaillent avec nous, de près ou de loin. On s’est fait une place dans les orchestres de Paris – c’est assez unique ! Le bruit va vite car des projets comme celui-ci, un peu différents, sont assez rares.

«Différent», c’est-à-dire ?

On considère la musique comme un moyen, et non comme une fin en soi. Quand les gens vont écouter du classique, ils y vont pour voir une pièce. Pour nous, ils ne viennent pas pour le programme. Ensuite, ce sont souvent les mêmes publics qui se déplacent pour écouter du classique. Nous, on fait l’inverse : on va vers eux, on se déplace. Dans des écoles primaires comme lors d’actions de désobéissance civile. Par exemple, on a chanté le Dies Irae de Mozart devant l’Assemblée nationale. Normalement, la représentation suppose un orchestre, des timbales, vingt instruments à vent, trente autres à cordes et un chœur de cinquante personnes. Mais nous, on s’en fout de jouer exactement la bonne partition. J’ai enlevé l’orchestre et on a fait le chœur a cappella – normalement, c’est Satan, il ne faut jamais faire ça ! On essaie de faire sortir l’orchestre de son cadre, de le remettre dans la ville, dans la société, dans les espaces politiques.

Comment l’écologie s’est-elle invitée dans votre projet ?

Je crois que tous les jeunes de 18 ans se posent cette question : «Comment avoir un impact ?» En tant que musiciens, on avait un pouvoir et on a voulu s’en servir pour fonder un socle et permettre à d’autres artistes de faire des actions concrètes. C’était quelque chose qui nous rassemblait. En parallèle des actions de désobéissance civile traditionnelles – malheureusement décrédibilisées –, on a voulu utiliser le système avec ses armes, le détourner. Quand l’orchestre n’est pas le bienvenu, il sonne presque différemment, comme insolent. J’adore cette idée que la musique classique, quand elle dérange, nous autorise ces discours et nous valide, à cause de tout un tas de biais cognitifs. En vérité, à des époques différentes, la musique classique a été très politique – Beethoven a été un énorme taré, révolutionnaire ! Depuis, elle a été accaparée et nous, on a envie de lui redonner ce pouvoir.

Vous organisez des concerts, mais pas uniquement…

On veut amener l’art conventionnel dans l’activisme. Quand il y a un blocage, on est toujours à l’affût de ce qu’il peut se passer. En ce moment, on est dans une période de restructuration pour taper encore plus fort. L’année prochaine, on a envie d’interrompre des moments à l’Assemblée nationale, de bloquer des conférences, de déplacer l’orchestre devant un ministère, d’aller sur les lieux d’incendies cet été et de montrer des images de la catastrophe. On veut créer le deuil par l’art. On est toujours un peu entre l’activisme et la musique.

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