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La première adaptation - sous forme de moyen métrage - de L'Appel de Cthulhu (nouvelle de 1928 écrite par Howard Phillips Lovecraft), nous la devons à un groupe de passionnés du reclus de Providence. Parfois, on n'est jamais mieux servi que par soi-même... Mais attention, pour coller au mieux à l'époque il s'agit du coup d'un métrage muet (avec le jeu d'acteur excessif qui va avec), qui comporte de plus des effets spéciaux bricolés. Vous êtes prévenus, mais c'est justement ce qui lui donne tout son charme et qui en fait une réussite malgré les moyens limités de cette production.

Tout d’abord merci pour cette interview. Pouvez-vous vous présenter pour ceux qui ne vous connaissent pas ?

Andrew Leman (réalisateur) :
Comme Sean et Darrell Tutchton, j'ai été l'un des fondateurs du H.P. Lovecraft Historical Society, et je suis toujours l'un de ses dirigeants. J'ai écrit et dirigé un grand nombre de jeux de rôle en direct, et avec Sean j'ai écrit, produit et/ou réalisé divers projets de divertissements lovecraftiens. Quand je ne travaille pas sur des choses lovecraftiennes, je conçois des polices de caractères, je suis occasionnellement acteur professionnel, et j'ai travaillé comme préparateur de fossiles au Field Museum of Natural History de Chicago.

Sean Branney (scénariste) : Andrew et moi sommes amis de longue date. Nous sommes tous les deux fans de Lovecraft, et c'est ainsi que nous avons créé Cthulhu lives. Nous avons tous les deux une formation en théâtre. Je dirige une compagnie de théâtre à Los Angeles, et, ces jours-ci je passe la plupart de mon temps à travailler pour la HPLHS. Andrew et moi avons collaboré sur de nombreux projets, notamment des jeux live, des CD, des livres, des scénarios et des films.

The Call of Cthulhu a été réalisé de manière DIY, mais avec des professionnels. Est-ce que ça va, dit comme ça ?

Andrew :
Presque toutes les personnes impliquées dans la réalisation de The Call of Cthulhu ont une expérience professionnelle dans le cinéma et/ou le théâtre. De nombreux membres de notre distribution sont apparus au cinéma et à la télévision, ainsi que dans de nombreuses pièces de théâtre. Sean et moi sommes tous deux titulaires d'une maîtrise en beaux-arts en théâtre, et de plusieurs années d'expérience professionnelle. En même temps, aucun d’entre nous n’avait jamais travaillé sur un film muet à l’ancienne, et nous utilisions des techniques qui étaient nouvelles pour la plupart d’entre nous. Je pense que toutes les personnes impliquées ont acquis de nouvelles compétences ou de nouvelles expériences.

Sean : La plupart des personnes impliquées sont des professionnels dans ce qu'ils font. Nous avons eu la chance qu'ils soient nos amis et qu'ils étaient prêts à travailler sur un projet à si petit budget. Nous avons dû bricoler de nombreux éléments de la production. Nous sommes plutôt satisfaits du résultat du film, malgré les limitations que nous avions dans la façon dont nous l'avons réalisé.

Quels ont été vos choix pour représenter l’univers de Lovecraft ? Avez-vous réussi à faire ce que vous vouliez ?

Andrew :
Le principal était d'être aussi fidèle que possible aux descriptions de Lovecraft et à sa période, dans les limites de nos ressources. Nous avons essayé de capturer l'esthétique du cinéma des années 1920 de par l'éclairage, la composition, les mouvements de caméra et la mise en scène. Nous avons utilisé autant que possible des accessoires et des costumes d'époque authentiques, et nous avons travaillé dur pour éviter les éléments anachroniques. Nous avons tourné sur place au studio Fleur de Lys à Providence (Rhode Island), un véritable bâtiment que Lovecraft mentionne nommément dans l'histoire. Dans la conception des scènes de marais, de R'lyeh et de rêve, nous nous sommes inspirés du travail des artistes préférés de Lovecraft, ainsi que d'autres peintres qui ont vécu et travaillé dans les années 1920, notamment Lyonel Feininger et M. C. Escher. Les plans extérieurs vus pendant la séquence de voyage sont tirés de véritables extraits de films vintage, et la plupart d'entre eux montrent les lieux réels qu'ils représentent. Et même l’écriture que l’on voit dans le plan final du film est une réplique de la propre écriture de Lovecraft. Compte tenu de nos ressources limitées, je pense que nous avons représenté le monde de Lovecraft du mieux que nous pouvions.

Sean : Dans les histoires de Lovecraft, les personnages sont rarement importants. Il y a généralement peu de relations significatives et très peu de dialogues. Les personnages ont souvent tendance à être insignifiants dans l'histoire globale. Il nous a semblé important de ne pas introduire dans l'histoire des éléments (comme une petite amie, un méchant, etc.) qui ne seraient pas en accord avec la nature de l'écriture de Lovecraft. D'un point de vue visuel, nous avons essayé de rendre le film historiquement fidèle à l'époque à laquelle vivait HPL.

Le "Mythoscope" est une super idée ! Quelle en est l'origine ? Avez-vous regardé beaucoup de films muets, et avez-vous des modèles ?

Sean :
Nous discutions de l'idée de faire L'Appel de Cthulhu, et nous avons vu un superbe court métrage tourné dans un style ancien. Cela nous a amené à parler de tous les avantages de tourner ce film comme s'il avait été réalisé dans les années 1920. Andrew et David Robertson, notre directeur de la photographie et monteur, ont travaillé dur pour capturer le style visuel des grands films muets.

Andrew : Nous avons étudié beaucoup de films muets, comme Metropolis, Nosferatu, Le Cabinet du Docteur Caligari, Faust, Le Voleur de Bagdad, Le Fantôme de l'Opéra, L'Aurore, Les trois Lumières et bien d'autres. Nous avons trouvé quelque chose d'inspirant dans chacun d'eux, mais nous n'avions pas de modèle particulier. David a développé une formule personnalisée pour que nos séquences vidéo aux couleurs vives ressemblent à de vieux films en noir et blanc grâce à une combinaison de bon éclairage, de correction des couleurs, de composition de calques et de filtres numériques.

Combien de temps et d'argent le film a-t-il nécessité ? Avez-vous rencontré des difficultés pour ce projet ?

Andrew :
Nous avons passé environ 18 mois à réaliser le film. Nous n'avons pas établi de budget officiel ni suivi de près l'argent impliqué, mais nous avons dû dépenser environ 50.000 $. Quant aux difficultés, oui, elles ont été nombreuses. Planifier le tournage et trouver des lieux a été difficile. La construction de décors a demandé beaucoup de temps et de travail. En fait, très peu de choses dans ce projet ont été faciles.

Sean : Il y a eu des défis à relever partout où nous avons tourné, mais aucun ne s’est avéré impossible à relever. Obtenir un authentique panier à salade d'avant la Première Guerre Mondiale a été difficile, mais nous avons réussi à en emprunter un et à le filmer. Nous avons dû virer notre compositeur vers la fin du projet car il n'avait écrit aucune musique, donc nous avons eu du mal à trouver une bande son. Aussi c’était compliqué de travailler avec un casting aussi nombreux, avec autant de lieux et sur une si longue période. Heureusement, nos acteurs et notre équipe sont des gens adorables, et ils ont rendu le processus aussi simple qu'on pouvait l'espérer.

N'avez-vous pas appréhendé la réaction des fans de Lovecraft ? Quel est le retour général maintenant que le film est sorti ?

Andrew :
Nous n'étions presque sûrs que les fans apprécieraient le film, car nous sommes nous-mêmes des fans et nous savons que c'est le genre de film dont nous rêvions depuis des années. Le film a même reçu un accueil plus favorable que prévu, et nous sommes extrêmement heureux que les gens semblent autant l'apprécier.

Sean : Nous avons réalisé le film comme nous le souhaitions, et nous espérions que d’autres personnes l’apprécieraient. Nous avons été agréablement surpris que le film ait été si fortement adopté par les fans de Lovecraft, les amateurs de cinéma muet et les cinéphiles en général. Nous sommes également ravis que des festivals de cinéma du monde entier s'intéressent au film et qu'il ait été projeté partout aux États-Unis et dans de nombreux autres pays. Le film a récemment remporté le Jameson Audience Choice Award au festival des arts indépendants d'Århus au Danemark.

Avez-vous des regrets, changeriez-vous quelque chose dans le film ?

Andrew :
Personnellement, je n'ai aucun regret, même s'il y a certaines choses que je ferais différemment si j'avais l'occasion de les refaire. Et si nous avions eu un vrai budget de cinéma, je sais qu'il y a des choses que nous aurions aimé faire mieux : filmer avec un vrai bateau, par exemple, et construire un meilleur décor grandeur nature de R'lyeh.

Sean : Il y a certaines choses que nous aurions pu faire différemment si nous avions eu plus de temps ou d'argent. Pour ma part, j'aurais aimé mettre en scène et filmer différemment les combats dans la scène des marais. J'aurais également aimé inclure un autre angle de The Alert percutant Cthulhu. Il est difficile d'être cinéaste et d'être satisfait à 100% de chaque instant d'un film, mais Andrew et moi avons été très satisfaits du résultat.



John Carpenter et Stuart Gordon sont célèbres pour leurs hommages à Lovecraft. Pensez-vous qu’une adaptation à la fois moderne et fidèle soit possible ?

Andrew :
Je pense vraiment que c'est possible, mais cela doit être fait avec précaution. L'adaptation est un travail difficile si l'on veut bien faire les choses, de toute façon.

Sean : Moi aussi, je pense que c'est tout à fait possible. Il faut juste que quelqu’un essaie vraiment d’être à la fois moderne et fidèle. Ah oui, et il faut convaincre quelqu'un d'autre de payer pour un tel film (c'est ce qui est le plus dur).

Aimeriez-vous faire un documentaire sur l'univers de Lovecraft ?

Sean :
Nous avons réalisé un mockumentaire intitulé A Shoggoth on the Roof il y a quelques années. Plus récemment, Andrew est aussi apparu dans un documentaire intitulé The Eldritch Influence. Mais nous n’avons pas encore tourné de véritable documentaire.

Andrew : Même si n'en n'avons pas réalisé, nous avons sur notre site web pas mal de contenu sur l'histoire des années 1920 et 1930, ainsi que des articles de notre ancienne revue Strange Eons, qui discutent tous de divers aspects de la fiction de Lovecraft et de ses dérivés.

En France, de nombreuses études ont été réalisées et des livres publiés sur Lovecraft depuis les années 1970. Tous les sous-titres présents sur le DVD du film signifient-ils qu'il existe toujours une forte demande de par le monde pour Lovecraft ?

Andrew :
Lovecraft a des fans partout dans le monde. Nous avons constaté un intérêt particulièrement élevé en Scandinavie, mais il est très apprécié en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et ailleurs.

Sean :La communauté lovecraftienne est mondiale. Notre site web reçoit des tonnes de visiteurs d'Europe, d'Australie, de Nouvelle-Zélande, d'Amérique du Nord comme du Sud. Nous en voyons quelques-uns en Asie, très peu au Moyen-Orient et très peu en Afrique. Nous avons expédié près de la moitié des DVD de The Call of Cthulhu en dehors des USA. Espérons que le fait de disposer de toutes ces langues rende le film accessible à davantage de personnes.

Enfin, quel est votre point de vue sur le fait que beaucoup de gens pensent que le Necronomicon existe réellement ? Je trouve ça incroyable.

Andrew :
Parfois, plus un mensonge est gros, plus les gens y croient. La création du Necronomicon par Lovecraft ne constitue pas exactement un mensonge, mais cela a certainement été bien amplifié au fil de toutes ces années par de nombreuses personnes différentes. Qu'il y ait un tel livre est une idée séduisante, et sans aucun doute beaucoup de gens préfèrent croire qu'il est réel plutôt que HPL l'ait inventé.

Sean : Bien que Lovecraft ait créé le Necronomicon, je pense que cela semble réel car il existe de vrais livres comme celui-ci. Les véritables ouvrages occultes, en particulier ceux de la Renaissance, constituent une lecture très étrange et très difficile. Ce qui est génial pour moi à propos du Necronomicon, c'est que même si ce n'est pas vrai, il semble que cela devrait l'être.

Merci beaucoup ! Un dernier mot ?

Sean :
Nous apprécions l’intérêt que vous portez à notre travail, et nous te remercions d’avoir parlé à tes lecteurs de notre étrange projet.

publié à l'origine dans le webzine Eclipshead


             




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