Le groupe djihadiste État islamique (EI) a revendiqué un des pires attentats commis en Iran qui a fait 91 morts mercredi dernier. Si, à première vue, cette tragédie n’est pas directement liée au conflit entre Israël et le Hamas, elle pourrait toutefois contribuer à aggraver la tension dans la région. Tour d’horizon avec Fabio Merone, fellow associé au Centre interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen-Orient de l’Université Laval.

D’abord, d’où vient le conflit entre l’État islamique et l’Iran ?

« Ce sont des ennemis par excellence », résume Fabio Merone, qui fait remonter le début de la rivalité entre les deux acteurs à 2014. À ce moment, le monde découvre le groupe terroriste qui a mis en déroute l’armée irakienne et avance jusqu’aux portes de Bagdad. « Il y a alors un appel à une mobilisation populaire chiite dans le sens idéologique du mot », en opposition à l’idéologie sunnite de l’EI, explique Fabio Merone. Suit le « moment clé » pour comprendre l’attentat de l’EI en l’Iran mercredi : « l’entrée en scène du général Qassem Soleimani ».

Qui est-il ?

D’abord, il faut souligner que c’est à une cérémonie à sa mémoire, non loin de sa tombe d’ailleurs, que se sont produits les attentats de mercredi. Tué en janvier 2020 par une frappe américaine en Irak, Qassem Soleimani était le chef de la Force al-Qods, la branche des opérations extérieures de l’Iran.

PHOTO FEDERICO PARRA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Murale honorant la mémoire de Qassem Soleimani, tué en 2020 par une frappe américaine

Il demeure une figure clé de la République islamique. On lui doit également l’organisation de la « mobilisation populaire » en 2014 contre l’EI en Irak voisin, rappelle Fabio Merone. « Qassem Soleimani, c’est un héros national en Iran, mais du point de vue de l’EI, c’est l’homme qui a organisé l’offensive contre lui. »

L’attentat à Téhéran de mercredi serait donc une vengeance à l’égard de Soleimani ?

Il s’agit, en effet, d’un chapitre de plus dans les tensions entre l’EI et l’Iran, croit Fabio Merone. « L’EI a de nombreuses fois attaqué l’Iran de cette manière », rappelle-t-il, ajoutant que certains de ces attentats ont aussi eu lieu en Irak, devant des mosquées ou lors d’évènements religieux chiites. La première attaque revendiquée par l’EI en Iran, en 2017, avait visé le siège du Parlement et le mausolée de l’ayatollah Rouhollah Khomeiny, fondateur de la République islamique, faisant 17 morts.

Donc ce ne serait pas lié au conflit entre Israël et le Hamas ?

« Ce n’est pas lié et ce l’est en même temps », nuance Fabio Merone. Il faut savoir que l’EI ne fait pas de l’indépendance de la Palestine un combat, puisqu’il aspire à la création d’un « État islamique » global et donc sans frontières. « L’État islamique, ce n’est pas l’État des Palestiniens, des Algériens ou des Irakiens », explique Fabio Merone. « Mais c’est lié parce que c’est évident que frapper l’Iran, en ce moment, fait monter la tension. » Car l’Iran « doit répondre s’il ne veut pas perdre la face complètement », dit-il.

L’Iran continue d’affirmer qu’il s’agit de l’œuvre des « sionistes et des Américains ». Pourquoi ?

Il ne faut pas perdre de vue que l’attentat de mercredi est survenu un jour à peine après une autre frappe, celle-là contre un bureau du Hamas en banlieue de Beyrouth, au Liban, et qui a tué le numéro deux du mouvement palestinien, Saleh al-Arouri. Déjà, le Hezbolla libanais, un allié de Téhéran, a promis de venger cette mort attribuée par plusieurs sources à l’armée israélienne, en conflit ouvert avec le Hamas dans la bande de Gaza. « L’attentat, c’est impossible de prouver que ce sont les Israéliens, mais il y a une dynamique israélienne avec l’assassinat d’Arouri », souligne Fabio Merone. Incapable de prévenir des attaques sur son propre sol, le régime iranien tenterait ainsi de détourner le regard de sa population.

Quelle pourrait être la suite de ces attentats ?

« Si on suit la rhétorique de Téhéran [qui accuse Israël], les Iraniens doivent répondre, mais comment ? L’Iran est un État, il ne peut pas répondre par une attaque directe, par exemple en tirant des missiles sur Israël », sans risquer d’envenimer le conflit, explique Fabio Merone. Jusqu’ici, la République islamique s’est surtout employée à armer ses alliés de l’« axe de la résistance » chiite : le Hamas, le Hezbollah et les rebelles houthis, au Yémen. Ces derniers ont d’ailleurs récemment attaqué plusieurs navires se rendant en Israël alors qu’ils transitaient en mer Rouge. Pendant ce temps, plusieurs voix s’élèvent dans la République islamique pour mettre en garde vis-à-vis d’un conflit ouvert avec Israël, mais surtout, son allié américain. « Par le passé, l’Iran a fait beaucoup moins que ce qu’il avait annoncé qu’elle ferait », rappelle le chercheur.

Avec The New York Times