(Sainte-Françoise) Dix ans après avoir lancé un programme pour sécuriser les puits de gaz et de pétrole abandonnés, le gouvernement du Québec n’a fermé que deux puits « problématiques » sur 87, au coût de 12 millions de dollars. Malgré cela, l’un de ces puits, qui fuit toujours, représentait en 2020 « un risque pour la santé humaine ».

Ce qu’il faut savoir

Il y a 775 puits orphelins au Québec. De ce nombre, 87 doivent faire l’objet de travaux de fermeture définitive, selon le ministère de l’Énergie.

Pour l’instant, seuls deux puits ont été fermés, au coût de 12 millions. L’un d’entre eux fuit toujours. Québec a signé un contrat sans appel d’offres avec une firme de génie pour trouver une solution.

Il n’y a pas d’échéancier pour fermer ces puits. Le premier plan d’action pour les puits orphelins a été lancé en 2014.

Ces révélations ont été faites dans le cadre des démarches judiciaires des 12 sociétés pétrolières et gazières qui contestent la fin de l’exploration et de l’exploitation d’hydrocarbures au Québec.

L’ingénieure Jacinthe Légaré-Laganière, coordonnatrice à l’ingénierie et à l’environnement à la direction de l’expertise des réservoirs géologiques au ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (MEIE), a affirmé en interrogatoire que seuls deux puits avaient fait l’objet de travaux de fermeture sur 87 puits jugés « problématiques ».

« Selon les données d’Investissement Québec, les coûts de mise aux normes et de fermeture définitive des deux puits réalisées en 2018 et 2019 ont atteint un peu plus de 12,1 millions », a confirmé Jean-Pierre D’Auteuil, responsable des relations médias au MEIE, dans un courriel.

Ces coûts élevés « s’expliquent notamment par les difficultés exceptionnelles rencontrées lors des travaux, tels que des bris d’équipement, la découverte d’obstacles, de cavités ou d’inclinaison dans les tubages et des émissions de gaz imprévues », a-t-il ajouté.

Mme Légaré-Laganière expliquait que lors des travaux de refermeture, les employés « sont tombés sur des outils qui avaient été échappés dans le puits, des outils de forage, fabriqués probablement en acier, très durs ». « Ça a engendré beaucoup de retard dans les travaux, des opérations de repêchage coûteuses qui n’avaient pas été planifiées », a-t-elle affirmé.

Danger d’explosion et risque pour la santé humaine

Or, malgré ces travaux de fermeture définitive, l’un des puits, l’A-190, foré en 1978 par la SOQUIP à Sainte-Françoise, dans la région de Bécancour, représentait toujours un risque « pour la santé humaine » lors d’une inspection du MEIE réalisée en 2020.

« Si le puits est maintenu sous pression comme lors de la visite du MERN [ancien ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles], il y a un risque pour la santé humaine. La pression est élevée et une ouverture subite des vannes évacuera du gaz naturel pressurisé à très haut débit, et possiblement de la saumure. Il y a un danger d’explosion si la vanne de gaz est subitement ouverte », peut-on lire dans un rapport consulté par La Presse. On note également que « du liquide s’échappait du tubage de surface ».

Les inspecteurs notent que « si les vannes demeurent ouvertes en permanence, il y a émanation par les deux évents à l’environnement. Cependant, le puits n’est plus pressurisé et le risque est réduit ». Leurs recommandations sont toutefois caviardées.

L’autre puits, l’A-216, foré en 1992 par la SOQUIP dans la forêt de la seigneurie de Lotbinière, connaît une « migration de gaz » qui ne représente toutefois pas « un risque selon la loi sur les hydrocarbures », puisque l’émanation de méthane ne dépasse pas 1 m⁠3 par jour, selon une inspection de 2021.

Le 16 novembre dernier, le MEIE a d’ailleurs accordé un contrat de gré à gré de 800 000 $ avec l’entreprise FIG Services-Conseils notamment pour « analyser les travaux ayant été réalisés par la SOQUIP et concevoir un programme des travaux nécessaires afin de régler les problématiques résiduelles de ces deux puits ».

« Le Ministère est déjà à pied d’œuvre pour remédier aux problématiques résiduelles sur les puits A-190 et A-216, avec le mandat octroyé à FIG Services-Conseils. Selon la planification préliminaire, il est estimé que les travaux nécessaires seront complétés d’ici 2026 », écrit le MEIE.

De nombreuses questions en suspens

Quant aux 85 autres puits orphelins jugés « problématiques », « il n’y a pas d’année qui a été identifiée pour avoir terminé tous les travaux de fermeture définitive, s’ils étaient requis », a indiqué Mme Légaré-Laganière. « On a fait des calculs détaillés des coûts pour seulement trois puits […]. Ce n’est pas assez avancé pour commencer à dire : on sait combien ça va coûter », a-t-elle expliqué.

C’est un dossier qui traîne au ministère de l’Énergie. En 2014, le gouvernement Couillard avait lancé un plan d’action pour l’inspection des puits inactifs au Québec, qui prévoyait l’exécution de travaux pour la « restauration des sites problématiques » dès 2015.

En mai 2018, le ministre libéral Pierre Moreau annonçait un plan pour sécuriser les puits de gaz et de pétrole dans un souci « de protection de l’environnement et pour rassurer le public », avec une enveloppe de seulement 2 millions par année.

Il avait été alors assez critique de son ministère, qui manquait de rigueur lors de l’inspection des puits. Un exemple : « lorsque le ministère ne pouvait pas repérer un puits, dans la catégorisation de ce puits-là, on indiquait qu’il s’agissait d’une situation conforme parce qu’il n’y avait pas de situation non conforme de soulignée, ce qui m’apparaît pour le moins imprécis », déplorait M. Moreau.