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Reportage

«Métapolitique», notion magique de la frontiste

Marion Maréchal (-Le Pen) récupère le concept du philosophe italien Gramsci selon lequel la lutte politique se mène d’abord sur le terrain culturel.
par Charlotte Belaïch
publié le 30 mai 2018 à 21h06

Marion Maréchal(-Le Pen) parle. Depuis une semaine, la voilà qui «s'exprime» comme on dit en langage politique. Mais attention, justement, avec son projet d'école de formation de la future élite de droite, il ne s'agit pas de politique, non, mais de métapolitique. C'est elle qui le dit : «Avec ce projet entrepreneurial, je suis fidèle à ce que j'ai toujours défendu durant mon mandat : le combat culturel, métapolitique. Transmettre la culture, le savoir, nos valeurs civilisationnelles ne peut se faire uniquement par le biais électoral». Un discours déjà rodé en février, lors de l'annonce de ce projet d'école dans une tribune publiée par Valeurs actuelles. «Je suis convaincue que notre famille de pensée doit investir davantage le champ de la métapolitique. Depuis le début de la Ve République, l'ensemble des vecteurs de pensée est détenu par la gauche. Elle infuse sa domination culturelle quasi hégémonique à travers la presse, l'éducation et la culture.» Visiblement convaincue, la rédaction de Valeurs actuelles soutenait son entreprise et régurgitait son argumentaire en titrant «Marion Maréchal-Le Pen signe son retour métapolitique».

«Tambouille». Le concept a été introduit dans le vocabulaire français au XVIIIe siècle par Joseph de Maistre, penseur viscéralement antirévolutionnaire, qui lui-même était allé le chercher dans la philosophie allemande. Il désigne alors l'étude de tout ce qui sous-tend la politique, non pas de la «tambouille» ou de la «politique politicienne» mais des idéologies qui infusent dans la société et la structurent. Mais c'est surtout le philosophe italien Antonio Gramsci qui popularise la métapolitique - sans pourtant jamais citer le mot - en développant l'idée selon laquelle le combat politique se mène sur le terrain culturel. Membre fondateur du Parti communiste italien, il se distingue de la doctrine marxiste en affirmant que l'économie n'est pas le seul enjeu dans la lutte pour le pouvoir. Sans hégémonie idéologique, pas de victoire dans les urnes. «Le mot métapolitique tel qu'il est utilisé par une partie de la droite est une tentative d'utilisation de la réflexion faite par Gramsci», explique le politologue spécialiste de l'extrême droite Jean-Yves Camus. Loin de s'en cacher, Marion Maréchal(-Le Pen) écrivait en février dans Valeurs actuelles, toujours, qu'il était «temps d'appliquer les leçons d'Antonio Gramsci».

Bien avant elle, l'école de pensée de la Nouvelle Droite, fondée en 1969 autour du Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne (Grece), a déjà misé sur cette stratégie. Située entre la droite et l'extrême droite, elle avait pour «ambition de contribuer au renouvellement des représentations sociales historiques» en promouvant notamment l'ethno-différentialisme - pour faire simple : à chacun sa culture, sans mixité possible. Alain de Benoist, penseur-philosophe-sociologue, est alors l'un des principaux artisans de ce laboratoire de refondation idéologique d'une droite extrême qui se veut plus policée que le Front national. «La Nouvelle Droite a essayé de populariser ses thèses dans des médias comme le Figaro magazine et d'influencer des hommes politiques comme Michel Poniatowski pour que les partis de droite adoptent un autre logiciel que celui de la droite classique», raconte Jean-Yves Camus. Ministre de l'Intérieur de Valéry Giscard d'Estaing, Michel Poniatowski est aussi l'un de ceux qui, au RPR, approuve en 1983 la fusion de la liste RPR-UDF avec le FN lors d'une élection municipale partielle à Dreux (Eure-et-Loir).

Au sein du FN, cette stratégie prend. François Duprat, essayiste et figure du FN dans les années 70, explique ainsi : «Nous ne devons pas laisser à nos adversaires, marxistes et régimistes, le monopole de la présentation historique des hommes, des faits et des idées. Car l'histoire est un merveilleux instrument de combat et il serait vain de nier qu'une des raisons importantes de nos difficultés politiques réside dans l'exploitation historique et la déformation systématique des expériences nationalistes du passé». Ou comment tenter de redonner du lustre à une vision du monde disqualifiée par l'histoire contemporaine. C'est ce qu'entend faire aujourd'hui Marion Maréchal(-Le Pen) : régénérer la droite plutôt que de tracer son sillon dans son coin, à l'image de sa tante. En mai dernier, elle expliquait d'ailleurs vouloir «gagner avant tout le combat culturel» dans la revue Elements, fondée par… Alain de Benoist. «Cette stratégie part d'une constatation : la droite, qui fait campagne sur des thèmes durs, comme Sarkozy en 2007, ne va pas au bout de ses engagements lorsqu'elle est au pouvoir, explique Jean-Yves Camus. Cette anomalie, selon Marion Maréchal, tient au fait que les élites de la droite sont gagnées aux idées de l'adversaire, gangrenée par celles issues de Mai 68.»

Big-bang. C'est d'ailleurs le thème de l'intervention de l'ancienne députée ce jeudi : la liquidation de l'héritage de 68. Seule solution pour cela, changer le logiciel idéologique de la nouvelle génération politique. D'où l'école. C'est l'un des objectifs de l'approche métapolitique : provoquer un big-bang idéologique pour faire bouger les clivages, avec en ligne de mire une droite alliant libre entreprise et nationalisme, le tout mâtiné de conservatisme et rassemblé autour de la question identitaire. Car plus que jamais, il y aurait un combat culturel à mener face à un islam offensif qui profiterait de l'affaissement de la culture occidentale.

A voir l'audience qu'a atteinte la thèse du grand remplacement, le créneau est porteur. En attendant le choc des civilisations, la rengaine du combat culturel pourrait aussi être un bon coup politique. Dans une société où les partis ne sont pas en vogue, elle n'est par ailleurs pas la seule à revenir à Gramsci. Fin janvier, les insoumis lançaient aussi leur école, moyen selon eux de «lutter contre l'idéologie dominante». «Elle a besoin de faire ses preuves en dehors du parti, de se doter d'une épaisseur», explique Jean-Yves Camus. La dernière des Le Pen pourrait revenir dans le jeu politique sans trop en avoir l'air et sans trop brusquer quiconque. Interrogé en février sur la visite de Marion Maréchal(-Le Pen) aux Etats-Unis, Sébastien Chenu, porte-parole du FN, semblait se rassurer en répétant le discours de cette dernière : «C'est ce qu'on appelle aujourd'hui de la métapolitique, la capacité à faire avancer des idées en dehors du combat électoral». Rien qui révélerait une ambition politique donc.

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